19 Janvier 2009
Simone Veil: Besoin de témoigner, refus d'écouter
«On entend souvent dire que les déportés ont voulu oublier et ont préféré se taire. C'est vrai sans doute pour quelques-uns, mais inexact pour la plupart d'entre eux. Si je prends mon cas, j'ai toujours été disposée à en parler, à témoigner. Mais personne n'avait envie de nous entendre. Ce que nous disions était trop dur, pouvait paraître cynique. Il aurait fallu peut-être que nous disions les choses avec plus de précaution. Ainsi, à partir du mois de juin 1945 et durant tout l'été, les familles de ceux qui n'étaient pas rentrés ont continué à attendre et à espérer. Lorsque nous manifestions des doutes sur ce point, compte tenu de ce que nous savions, on préférait ne pas nous écouter, ou ne pas comprendre. On était choqué. [...]
Cette incompréhension, ces difficultés, nous les retrouvons en famille. Peut-être même surtout dans nos familles, c'est le silence : un véritable mur entre ceux qui ont été déportés et les autres. Une sœur de mon mari a été déportée : nous nous sommes à peine croisées à Bergen-Belsen, mais nous avons des camarades communs, beaucoup de souvenirs communs. Chaque fois que nous nous voyons, nous en parlons. C'est instinctif, un besoin de le faire. Mais la famille ne le supporte pas. »
Témoignage de Simone Veil en juin 1990, cité par A. Wieviorka,
Déportation et génocide. Entre mémoire et oubli. Plon, 1992
l Le refus du passé : 1956 Nuit et Brouillard d’Alain Resnais
C’est le premier grand documentaire consacré à l'univers concentrationnaire. Réalisé en 1956 par Alain Resnais sur un commentaire écrit par le romancier et ancien déporté Jean Cayrol, il s'agit d'un court-métrage de 32 minutes composé en grande partie d'images d'archives.
Suite aux pressions de l'ambassade d'Allemagne, le film fut retiré de la compétition du festival de Cannes. Comme son titre l'indique (le décret Nacht und Nebel de déc 1941 visait les opposants allemands qui devaient être éliminés sans laisser de traces et non pas les déportés raciaux), la spécificité du génocide juif n'était pas encore prise en compte. Cependant cette image du camp d’internement de Pithiviers fut censurée car elle montrait le rôle de la police française dans la déportation.
l Georges Pompidou veut «Jeter le voile» (1972)
«Notre pays, depuis un peu plus de trente ans, a été de drame national en drame national. Ce fut la guerre, la défaite et ses humiliations, l'occupation et ses horreurs, la Libération, par contrecoup l'épuration et ses excès - reconnaissons-le; et puis la guerre d'Indochine, et puis l'affreux conflit d'Algérie et ses horreurs des deux côtés, et l'exode d'un million de Français chassés de leurs foyers, et du coup l'OAS et ses attentats, et ses violences, et par contrecoup la répression. Alors, [...] je me sens le droit de dire: allons-nous éternellement entretenir saignantes les plaies de nos désaccords nationaux ?
Le moment n'est-il pas venu de jeter le voile, d'oublier ce temps où les Français ne s'aimaient pas, s'entre-déchiraient et même s'entre-tuaient ? »
Conférence de presse du président de la République Georges Pompidou, 21 septembre 1972.
l La responsabilité de la France selon François Mitterrand en 1992
Sollicité par une pétition du Comité Vél' d'Hiv' 1942 publiée dans le Monde le 17 juin 1992, François Mitterrand s'exprime sur la responsabilité de la France et de la République dans la déportation des Juifs de France.
La République, à travers toute son histoire, a constamment adopté une attitude totalement ouverte pour considérer que les droits des citoyens devaient être appliqués à toute personne reconnue comme citoyen et en particulier les Juifs français. Alors, ne lui demandez pas de comptes, à cette République. Elle a fait ce qu'elle devait.
C'est la République qui a, pratiquement, depuis deux siècles où les Républiques se sont succédé, décidé toutes les mesures d'égalité, de citoyenneté. C'est elle qui a décidé que les Juifs d'Algérie cessent d'être considérés comme une sorte de race inférieure [...]. La République a toujours été celle qui a tendu la main pour éviter les ségrégations raciales. Alors ne demandons pas de comptes à la République !
Mais, en 1940, il y a eu un « Etat français », c'était le régime de Vichy, ce n'était pas la République. Et à cet « État français » on doit demander des comptes, je l'admets naturellement, comment ne l'admettrais-je pas? Je partage totalement le sentiment de ceux qui s'adressent à moi mais, précisément, la Résistance, puis le gouvernement de Gaulle, ensuite la IVe République et les autres ont été fondés sur le refus de cet « État français », il faut être clair.
René Bousquet (1909-1993), au fond, dans la résidence
d'été de François Mitterrand, à Latché (Landes),
en 1974.
§ A la suite de la déclaration « d’imprescriptibilité des crimes contre l’humanité » en 1964 diverses affaires et procès ont révélé ce passé qui n’avait pas encore été assumé par la République française :
1979 = Inculpation de Jean Leguay ( 1909-1984) (représentant de Bousquet à Paris) pour crimes contre l'humanité.: Ce haut fonctionnaire fut le représentant de René Bousquet auprès des autorités allemandes dans la zone occupée. Il meurt avant d'être jugé pour complicité de crimes contre l'humanité.
1983 = L'officier SS : Klaus Barbie. Chef allemand de la Gestapo de Lyon. Extradé de Bolivie vers la France en 1983, le « boucher de Lyon », est jugé en France en 1987, condamné à la détention perpétuelle. Il meurt en prison en 1991.
1991 = Inculpation de René Bousquet, (1909-1993) : secrétaire général à la Police (1942-1943), pour crimes contre l'humanité. Assassiné le 8 juin 1993. Haut fonctionnaire, secrétaire général à la Police d'avril 1942 à décembre 1943 dans le gouvernement Laval, René Bousquet signe les accords Oberg-Bousquet de l'été 1942 qui mettent les forces de police et de gendarmerie à la disposition des Allemands et leur livrent les juifs étrangers de la zone libre. » il supervisa l’arrestation de 60 000 juifs jusqu’en décembre 1943. Chargé de la répression en zone nord, Bousquet organise la déportation des juifs et, en particulier, la rafle du Vel'd'hiv'. Une première fois jugé en 1949, il est condamné à cinq ans d'indignité nationale. Son soutien à la Résistance en 1944 lui valut d’être amnistié en 1949 et lui permit de faire carrière à la banque Indosuez.
Il est inculpé en mars 1991 de crimes contre l'humanité. Les protections dont il dispose font reporter le procès. Il est assassiné en 1993 avant la fin du procès par un exalté, Christian Didier, qui a été condamné à 10 ans de prison. Sa mort met fin aux poursuites.
1994 = Le milicien : Paul Touvier. Employé de la SNCF, Paul Touvier rejoint la Légion française des combattants en décembre 1941. Il adhère à la Milice en janvier 1943. Il devient chef du deuxième service régional de la Milice de Lyon en janvier 1944. Le 29 juin 1944, Paul Touvier fait assassiner sept otages juifs à Rillieux-la-Pape, près de Lyon, en représailles au meurtre, la veille, de Philippe Henriot, secrétaire d'État à l'Information et à la Propagande.
Après la guerre, Paul Touvier est condamné à mort par deux fois, peines prescrites par la suite. En 1971, le Président Pompidou le gracie de peines accessoires.
Inculpé en 1981, l'ancien chef de la Milice à Chambéry, puis à Lyon, est arrêté à Nice en 1989 après une longue cavale durant laquelle il a bénéficié de l'appui de certains milieux ecclésiastiques. Après une longue procédure judiciaire, Paul Touvier est jugé en 1994 pour complicité de crimes contre l'humanité dans l'affaire de l'assassinat de Rillieux-la-Pape. Reconnu coupable il est condamné en 1994 à la réclusion à perpétuité. Il meurt à la prison de Fresnes en 1996.
1999 = Le haut fonctionnaire: Maurice Papon, (1910-2007) secrétaire général de la préfecture de la Gironde de 1942 à 1944. il participa à l’organisation de convois de juifs vers Drancy entre 1942 et 1944. Son rôle actif dans la Résistance en 1944 lui permit de ne pas être inquiété. Il devint même Préfet de police de Paris de 1958 à 1967, Ministre du Budget de Raymond Barre en 1978.
Mis en cause en 1981 par « le Canard enchaîné », 2 familles de déportés déposèrent le 8 décembre 1981 contre lui une « plainte de crime contre l’humanité » ; les avocats défenseurs de M.Papon mettant en avant que le « crime contre l’humanité » est qualifié par l’adhésion à l’idéologie nazie, ce que personne ne peut reprocher à M.Papon. Après 15 ans de procédure en février 1997 la Chambre d’Accusation de la Cour d’Appel de Bordeaux a décidé de traduire Maurice Papon en Cour d’Assises pour « complicité de crime contre l’humanité ».Le 7 août 1997 Maurice Papon a été « placé sous contrôle judiciaire » jusqu’à sa comparution devant la Cour d’Assises de la Gironde le 8 octobre 1997. Le 10 octobre elle décida sa mise en libération, ce qui a permis à Maurice Papon de comparaître libre. Il tenta pendant son procès de minimiser son pouvoir de décision, se présentant comme « un simple porte plume ». Cependant les débats établirent que, comme la plupart des fonctionnaires de Vichy, il connaissait le sort réservé aux juifs déportés en Allemagne. Aussi, le 3 avril 1998, le jury populaire a condamné Maurice Papon à 10 ans de prison fermes pour « complicité de crime contre l’humanité » et pour avoir supervisé la déportation de 1 690 juifs vers Drancy. Ayant fait appel du jugement Maurice Papon est resté en liberté jusqu’au jugement en appel. Devant être incarcéré pendant le procès en appel, la Cour d’Appel de Bordeaux ayant refusé le 12 octobre 1999 la dispense d’incarcération ; Maurice Papon s’enfuit en Suisse, perdant ainsi son droit de faire appel. Arrêté puis expulsé de Suisse le 22 octobre , il a été aussitôt incarcéré à la prison de Fresnes (Val de Marne) pour y purger sa peine de 10 ans.
Il est à ce jour le seul haut fonctionnaire français à avoir été reconnu coupable de complicité de crimes contre l'humanité. Bien que J.Chirac ait refusé de lui accorder sa grâce il a été finalement libéré pour raison de santé. Il a été remis en liberté anticipée en 2003 pour raisons de santé. Il est mort le 17 février 2007 à 96 ans.
En tout cas le procès a permis de mettre en lumière les responsabilités réelles de l’administration française sous Vichy et la culpabilité des fonctionnaires de Vichy qui ont collaboré avec les nazis et se sont donc rendus « complices de crime contre l’humanité ».
l Pour marquer sa différence avec la réserve de Georges Pompidou ou de François Mitterrand à propos de Vichy, Jacques Chirac a clairement reconnu la responsabilité de l’administration de « l’Etat Français » dans la déportation des juifs à l’époque de Vichy entre 1940 et 1944.
http://pagesperso-orange.fr/memoire78/pages/vel.html
è Dès juillet 1995 il dénonça la responsabilité de l’administration française dans l’organisation de « cette infamie » et en décembre 1997 il évoqua « l’abdication morale » du Régime de Vichy.
La France reconnaît ses responsabilités (1995)
Le 16 juillet 1995, le président de la République Jacques Chirac reconnaît officiellement les responsabilités de la France, lors de la deuxième Journée nationale commémorative des persécutions racistes et antisémites commises sous l'autorité de fait dite gouvernement de l'État français (journée instituée par décret de François Mitterrand en 1993) et du 53e anniversaire de la rafle du Vélodrome d'Hiver.
« Oui, la folie criminelle de l'occupant a été secondée par des Français, par l'État français. Il y a 53 ans, le 16 juillet 1942, 450 policiers et gendarmes français, sous l'autorité de leurs chefs, répondaient aux exigences des nazis. Ce jour-là, dans la capitale et en région parisienne, près de 10 000 hommes, femmes et enfants juifs, furent arrêtés à leur domicile, au petit matin, et rassemblés dans les commissariats de police. (...)
La France, patrie des Lumières et des droits de l'Homme, terre d'accueil et d'asile, la France, ce jour-là, accomplissait l'irréparable. Manquant à sa parole, elle livrait ses protégés à leurs bourreaux.
Conduites au Vélodrome d'Hiver, les victimes devaient attendre plusieurs jours, dans les conditions terribles que l'on sait, d'être dirigées sur l'un des camps de transit -Pithiviers ou Beaune-la-Rolande - ouverts par les autorités de Vichy. L'horreur, pourtant, ne faisait que commencer. Suivront d'autres rafles, d'autres arrestations. À Paris et en province. 74 trains partiront vers Auschwitz. 76 000 déportés juifs de France n'en reviendront pas.
Transmettre la mémoire du peuple juif, des souffrances et des camps ; témoigner encore et encore ; reconnaître les fautes du passé, et les fautes commises par l'Etat; ne rien occulter des heures sombres de notre histoire, c'est tout simplement défendre une idée de l'Homme, de sa liberté et de sa dignité. »
Jacques Chirac, discours du 16 juillet 1995.
è Lors du 55ème anniversaire de « la rafle du Vel’d’hiv’ » le 20 juillet 1997, Lionel Jospin, devenu entre temps Premier Ministre, s’est associé à cette condamnation. Le 30 septembre 1997, les évêques de France, lors d’une cérémonie au Camp de Drancy, ont fait une « déclaration de repentance » pour les compromissions de la hiérarchie catholique avec le régime de Vichy. Cette attitude a été suivie le 7 octobre 1997 par le S.N.P.T. – Syndicat National de la Police en Tenue – à propos de la participation de la Police Nationale aux arrestations de juifs à l’époque de Vichy et le 11 octobre par « l’Ordre des Médecins ».
èCette condamnation claire du Régime de Vichy est essentielle alors que le « négationnisme » (ou « révisionnisme », c'est à dire la contestation de l’existence des chambres à gaz) est de plus en plus souvent professé.